Afin de soigner l'ennui [I]-[Solo]

Cela ne faisait guère plus d'une semaine à présent que Lor était mort. Les Dünegarde portaient le deuil. Tous, sauf une certaine personne nommée Alda Sulyn Neyra semblait-il. En effet, non contente d'être la sœur du regretté défunt, la demoiselle jouissait d'une toute autre vision de l'évènement. Au dehors le vent crachait ses nuées gorgées de sable et de poussière, et elle ne pouvait s'empêcher de contempler le spectacle qui s'offrait à sa vue avec dans les yeux quelques lueurs d'émerveillement et de jalousie. Oh, bien sûr elle avait bien ce petit pincement au cœur, de ceux qui vous prend quand l'ont vous arrache une chose que vous n'étiez pas préparé à perdre, et qui vous permet de croire sincèrement que vous n'êtes pas vraiment un monstre, mais ça s'arrêtait là. Pour l'heure, son esprit était tout entier préoccupé par les danses incessantes du sable et de l'air. Elle avait toujours vécu sur ces terres arides, et le désert d'Irarref l'hypnotisait toujours autant. Gamine déjà, elle s'imaginait en puissante reine guerrière, la fille des dunes, l'indomptable, mais ce n'étaient là que fantaisie de sa part.

Une main hésitante mais ferme se posa sur son épaule, l'arrachant du même fait à sa contemplation béate.

« Ma fille, il n'est pas tolérable de te voir ainsi rêvasser le sourire aux lèvres tandis que... »

Feignant d'être outrageusement surprise, Alda se détourna de la vue et la coupa net, empêchant par là de se déverser le flot de paroles infecte de sa mère dont elle devinait l'arrivée :

« Oh, je souriais ? Vraiment ? Pardonnez-moi mère mais... il me semble avoir passé suffisamment d'année à me morfondre. »

Un instant la jeune femme observa le visage de sa mère se décomposer sous l'insolence de sa fille. Cette image fit sourire une nouvelle fois Alda, elle savait pertinemment que sa mère ne trouverait pas les mots pour la reprendre, elle n'avait jamais sus.

« Petite effrontée, tu ne te rend pas compte... »

L'effrontée en question claqua de la langue, elle commençait déjà à se sentir lasse de cette conversation inutile tout en sachant parfaitement où tout cela les mèneraient.

« De quoi ? De quoi devrais-je me rendre compte, selon vous ? Qu'il s'agissait de mon frère ? Qu'à présent il n'y aura nulle façon pour vous de voir briller le nom des Dünegarde ? N'avez-vous donc que ces préoccupations ? Dois-je vous rappeler que Lor était un humain tel que vous et moi ? Je ne pense pas qu'il faille être un homme pour montrer sa valeur...Valeur que vous n'avez pas... »

Une haute silhouette fit irruption aux côtés des deux femmes sur qui brillait le soleil du midi.

« Que signifie ce discours débordant d'insolence ! Ne peut-on pas avoir droit au silence dans cette maison ?? »

La voix forte et roque de son père brisa les paroles un peu trop enflammées de la jeune femme qui s'en mordit les lèvres de frustration en fixant ses pieds.

« Ce n'est pas... » commença-t-elle, amer, avant de subir les rudoiements de l'homme comme frappe la foudre.

« Silence, gamine ! Ça t'amuse de souiller le repos de ton frère ? A présent retourne dans tes appartements puisque tu n'as, apparemment, rien de mieux à faire. »

Le visage d'Alda vira au rouge, comment le fait de simplement contempler le désert avait pu engendrer un tel chaos ? Fulminante, elle releva la tête pour faire face à son père avec défis, de justesse elle retint un soupire de méprit et entonna d'une voix assurée :

« Je crois que je n'ai jamais eu mieux à faire qu'en ce jour. Puisque c'est celui que je vais choisir pour quitter cette maison. »

Le son de la claque résonna dans toute la pièce sous les yeux effaré d'une mère qui porta les mains à sa bouche.

« En voilà une belle sottise ! C'est donc cela que tu attendais ? Petite ingrate...Lor doit se retourner dans sa tombe... »

Jamais pareil geste n'avait autant blessé la jeune femme dans son orgueil, elle pouvait presque sentir la bile remonter le long de sa gorge. Pourtant, elle refit face à son géniteur comme si de rien n'était.

« Oui...je n'en doute pas. Car à présent c'est moi et non lui qui chevaucherai le monde à la recherche de distraction. Vos paroles n'y pourront rien changer. Mais il se peut que les dieux entendent vos prières, après quoi ils m'empêcheront peut-être de souiller notre nom. »

Avisant la fureur dans les yeux sombres de son père,

« Ha ha...n'ayez crainte, je plaisante...ne me frappez pas encore. »

Contemplant les yeux de sa fille, l'homme aurait juré voir là une invitation à la violence tant ceux-ci brillaient d'un éclat mauvais. Mais qui était donc cette inconnu en face d'eux...? Qu'était-il advenu de la silencieuse et obéissante Alda ? Était-elle morte en même temps que son frère...?
La révélation de la chose le laissa pantois.
Quant celle-ci, elle devina probablement ce à quoi son père songeait car le sourire qu'elle lui adressa alors, était d'une éloquence tout à fait troublante...

Tournant les talons, la jeune femme se figura qu'elle en avait assez. Mentalement elle se voyait déjà emprunter l'ancien cheval de Lor, qui par la force des choses n'avait à présent plus de cavalier...
Tandis qu'elle s'apprêtait à partir, la jeune femme tourna la tête sur son épaule une dernière fois avec cette fois un sourire en coin.

« Une dernière chose...Savez-vous, mère ce qu'est la magie ? »

Bien entendu, elle ne s'attendait pas à ce que sa mère en sache d'avantage qu'elle, puis elle avait gardé les mains sur sa bouche, décidément, tout cela était d'un ennuis mortel. Aussi continua-t-elle, tout en s'éloignant avec assurance.

« Moi je le découvrirai. D'ici là, que les dieux vous gardent...chers parents. »

Puis le silence tant espéré par le père d'Alda refit surface, pour ne probablement plus être troublé avant longtemps...