A chacun ses raisons. [Amaryllis] [I]

Assis dans un coin de la sombre taverne, Ylliendril scrutait la pièce, sur ses gardes, le verre de rhum commandé plus tôt n’ayant pas bougé d’un pouce. Il n’était pas chez lui, ni dans son élément, ici. Il avait trouvé un bateau pour le conduire à l’île principale du clan de la Voile d’Onyx et avait accosté à la capitale plus tôt, dans la matinée. L’objectif de son voyage était de gagner une petite île précise afin d’y trouver quelqu’un mais… Personne n’acceptait de faire ce voyage pour un étranger sans suffisamment d’argent.

Vêtu de son habituel grand manteau couleur sable qui laissait apparaitre son torse, il cachait de son mieux sous ce dernier sa grande épée, accrochée à sa hanche droite. Contrairement aux apparences il avait pris une somme correct sur lui, pour ce qu’il était venu faire ici mais…

Il avait cherché toute la journée une bonne âme et avait même fini par dire qu’il cherchait précisément « Langue de Cobra », le célèbre espion et assassin. C’est aussi comme ça qu’il avait appris que ce dernier était recherché par les autorités locales. Il commençait à désespérer, il ne fallait pas qu’il espère la charité de qui que ce soit ici. D’autant que vu que la prime pour la tête de la personne qu’il voulait voir, il y avait de fortes chances qu’on l’accompagne uniquement pour capturer le criminel.

La nuit était déjà bien avancée et la taverne ferma finalement. Il n’avait nulle part où dormir et celle-ci était, d’après son tenancier, pleine. Ylliendril le suspecta de ne pas aimer les étrangers mais il ne pouvait pas forcer le propriétaire à le loger. A peine dehors, il fut frappé par l’heure bien plus avancée qu’il ne le pensait… Les rues étaient surement mal fréquentées et vu qu’il avait plutôt dû se faire remarquer à interroger tout le monde, il se mit en route sans attendre, pour s’éloigner du lieu où on l’avait vu. Il ne put faire que quelques mètres avant de croiser un gamin aux airs étranges, visiblement aveugle à en juger la couleur blanc laiteuse de ses yeux.

« Vous ne devriez pas passer par là, coupez plutôt par la petite rue là-bas, marchez passez trois intersections, puis à gauche et de nouveau à gauche deux rues plus tard. »

Passant sans s’arrêter, l’homme du désert était trop méfiant pour tomber dans un piège aussi simple… On l’éloignait de la rue principale qui était surement la plus sûre pour le voler ou le tuer dans un coupe gorge où personne ne passait. Plutôt satisfait de ne pas s'être fait avoir mais toujours sur ses gardes, il continua tout droit, jusqu’à ce que quatre hommes armés sortent des ombres, clairement menaçants.

Sa méfiance lui avait cette fois jouée un tour, il aurait mieux fait d’écouter le petit garçon, encore que rien ne lui assurait qu’il ne serait pas tombé dans un autre piège… Décidément ces villes étaient beaucoup trop dangereuses pour des étrangers la nuit. Dégainant son immense arme, Ylliendril se mit en position, prêt à les recevoir. Ils étaient quatre, il avait peu de chance si ils savaient vraiment se battre mais il espérait les intimider et jouait sur le fait qu’il n’avait peut-être que l’habitude qu’on leurs donne tout sans résister.

Un étranger qui osait se balader en pleine nuit chez les pirates, ce n'étais pas commun ! Soit il était complètement inconscient, soit il avait de la réserve. Assise en hauteur sur un mur, les jambes pendantes dans le vide, Amaryllis observait la scène d'un air amusé. Fort heureusement pour le jeune homme elle était passée par ici avec ses quatre plus fidèles marins qui étaient postés à chaque issue, prêts à intervenir. Mais comme toujours la jeune pirate aimait rendre les choses plus épicées et elle avait ordonné qu'on lui laisse le temps de voir de quoi cet humain était capable. Il en avait une bien grosse épée, bien qu'un peu molle au combat au goût de celle qui l'épiait. Mais il se défendait tout de même bien face à cette embuscade non équitable.

La capitaine fit alors signe à ses hommes, d'intervenir avant qu'il ne finisse par mourir. Ceux-ci débarquèrent en trombe devant l'étranger sans qu'il ne comprenne le pourquoi du comment et se joignirent à la piètre bataille qu'ils gagnèrent facilement. Les perdants furent alors ligotés les uns contre les autres puis les quatre matelots semblèrent attendre quelque chose. Enfin satisfaite, Amaryllis descendit alors de son perchoir avec vivacité et se sauta d'un bond derrière l'étranger qui ne devait plus comprendre grand chose à force de voir des inconnus sortir de nulle part.

« Quel courage ! Ou bien quelle folie, stupide soit dit en passant. »

Dit la pirate d'un rire moqueur à l'homme qu'elle venait de sauver avant de totalement délaisser celui-ci pour allé s'occuper des brigands qui l'avaient attaqué. Elle les dévisagea de son regard méprisant et croisa les bras avant de dire de sa voix sévère :

«Quatre contre un ? Vous n'avez donc pas honte bande de lâches ? Ou bien vous n'avez pas d'honneur, et les pirates sans honneur ne sont pas dignes de faire partie de ce clan ! »

La capitaine qui réprimandait les petits chenapans de ne pas faire un combat loyal. Elle, n'attaquait effectivement jamais des ennemis s'ils n'étaient pas à armes égales. C'était un code de l'honneur comme dit plus tôt et le transgresser revenait à perdre sa dignité de pirate. En tout cas c'était son avis, et elle faisait toujours comprendre à ceux qui n'étaient pas du sien qu'elle avait raison, en tout circonstance. Amaryllis poussa un soupir en voyant les têtes anéanties de ceux qu'ils venaient de capturer. C'étaient vraiment des trouillards sans courage ceux là, désespérant...

Puis soudain, dans un sourire amusé, elle dégaina son sabre et pointa sa fine lame sur eux. Ils blêmirent et crièrent de leur épargner la vie. La jeune pirate éclata alors de rire, elle adorait humilier ses victimes, surtout les abrutis de ce genre. D'un coup vif, alors que les brigands crurent perdre la vie, elle coupa simplement les cordes et leur fit comprendre de son regard noir qu'ils feraient mieux de fuir. Ils ne perdirent d'ailleurs pas de temps à exécuter les ordres et Amaryllis fit volte face. Daignant enfin s'adresser à l'étranger, elle s'approcha de lui à pas élégants, accompagnée de sa prestance sans faille.

« Ne te méprends pas étranger, j'ai sauvé leur honneur, pas ta vie. Maintenant tu vas me dire ce que tu fais en plein territoire de La Voile d'Onyx. J'aurais bien dit que tu cherchais la mort mais puisque tu t'es... défendu ? Je suppose que tu as un but. Parle donc homme poussiéreux ! »

Dit-elle en faisant référence à son espèce de manteau de sable. La politesse n'existait pas chez Amaryllis et elle tutoyait tous ceux qu'elle rencontrait. Elle dévisageait son interlocuteur de son regard hautain alors que ses hommes vinrent se rassembler derrière elle, observant à leur tour cet étrange homme suicidaire.

Usant correctement de sa lourde arme, l’homme du désert tenait pour l’instant en respect les pirates qui visiblement, à son grand malheur, savaient se battre. L’étrange épée avait l’avantage d’impressionner et d’étonner par sa forme étrange, ses adversaires se demandaient toujours si elle ne pouvait pas permettre l’utilisation quelques curieuses techniques.

S’il y a bien une chose qu’Ylliendril n’aurait jamais imaginé, cela aurait été de recevoir de l’aide. Surgissant de nulle part, quatre autres forbans visiblement bien entrainés se rangèrent de son côté et l’aidèrent à mettre hors d’état de nuire ses agresseurs sans qu’une goutte de sang soit versée. Reprenant son calme et son souffle, l’étranger regardait les matelots ligoter les bandits sans faire de commentaires, il n’était pas chez lui, il ne savait même pas qui était ces gens et pourquoi ils l’avaient aidés. Peut-être étaient-ils de la milice ?

Ce fut finalement au tour d’une jeune femme de faire son apparition, complètement perdu, Ylliendril se demanda s’il n’y avait pas des personnes cachées partout dans cette ville. Il détailla un peu l’arrivante et nota rapidement que les autres semblaient l’avoir attendu et que par conséquent, elle était leur chef, affirmation qu’il confirma en notant le grand chapeau qu’elle arborait fièrement. Il fut piqué par pas mal de choses… Un peu plus petite que lui, la jeune femme était vraiment ravissante, bien formée et pourtant, quelque chose clochait, il pouvait lire dans ses yeux une confiance incroyable en elle-même. Il ne releva pas la petite pique, elle lui avait sauvée la vie et en effet, se promener à cette heure dans ces rues sans les connaitre était vraiment idiot.

Il regarda, curieux, son petit manège. Cette femme était visiblement tout ce qu’il y avait de plus détestable : moqueuse, arrogante, mauvaise… Ou peut-être jouait-elle un rôle pour impressionner ses agresseurs ? Une chose était sûr, ces gars-là ne risquait pas de recommencer de sitôt…

Sa première impression se confirma finalement quand elle l’apostropha. Ylliendril se demanda si elle se comporterait pareil entourée de soldats hostiles avec pour seule chance de survie le mutisme. Mais une chose ne changeait pas, elle venait de lui donner un bon coup de main et même si elle ne l’avait pas fait pour lui, les faits étaient quand même présents. De toute façon, il était en position de faiblesse, aussi ne releva-t-il pas l’impolitesse de sa « sauveuse ». En tous les cas, il n’était pas du genre à se vexer pour si peu, sans être démuni d’orgueil, il savait le mettre de côté de temps en temps.

Il répondit finalement à la femme, à voix basse, obligeant cette dernière à ne pas faire trop de bruit et à tendre l’oreille pour pouvoir l’entendre. Loin d’être une provocation, cette pratique lui était naturelle. Peu habitué à parler, vivant seul et au calme, il avait rarement besoin de s’exprimer et avait perdu l’habitude de parler d’une voix normale.

« Même si ce n’était pas pour moi, merci de votre aide, je ne pense pas que j’aurais pu les faire fuir seul. Excusez-moi de parler aussi faiblement, je n’ai pas l’habitude de beaucoup m’exprimer à l’oral. Je suis ici car je cherche un bateau, j’ai besoin de rencontrer « Langue de Cobra » pour disposer de ses services à condition qu’il accepte. Mon peuple est actuellement sous l’oppression de pillards et son aide pourrait m’être précieuse, il semble qu’il soit un très bon espion et informateur, aussi j’espère qu’il pourra m’apprendre des choses intéressantes. J’ai entendu dire tout à l’heure qu’il était recherché par la Voile d’Onyx mais les motifs ne sont pas très clairs, j’ai l’impression qu’il a juste vexé quelqu’un de puissant qui a fait mettre sa tête à prix. J’ai passé ma journée à chercher mais personne ne veux me conduire sur l’île où il vit puisque je refuse de donner la destination finale et je n’accepte que de guider au faire et à mesure, je ne fais pas vraiment confiance aux gens que je ne connais pas. Enfin je pense que vous comprenez »

Il avait préféré une longue tirade pour éviter de se faire couper, sûr qu’il aurait vite perdu le fil si il laissait l’étrangère lui poser des questions entre temps.

Amaryllis écoutait parler l'étranger, ses sourcils faisaient des vagues tellement elle changeait d’expression toutes les secondes. De plus elle ne pouvait pas en placer une, avait-il deviné que si elle commençait à parler elle embrouillerait tout le monde ? En tout cas son récit avait l'air de fortement l'intéresser car la pirate avait perdu son grand sourire et semblait pour une fois un peu plus sérieuse. Elle posa ses mains sur les hanches et parla, sans crier ô grand miracle, d'une voix qui ne plaisantait pas le moins du monde.

« Je t'offre mon bateau. »

Elle ne dit qu'une phrase, une seule petite phrase qui provoqua en revanche la panique chez ses hommes. Ils semblaient sidérés, leur chef, offrir son aide ? C'était tout bonnement impossible, et quand c'était inimaginable comme cela elle les embarquait par la suite pour la plupart du temps dans des histoires inconcevables... Un sourire éclaira le visage de la capitaine qui se retourna sans crier gare et frappa doucement ses quatre hommes avec le plat de son épée.

« Je vois tout, même de dos, n'oubliez pas ! Alors arrêtez donc de faire ces têtes ! Quant à toi...»

Amaryllis refit face à l'homme, un grand sourire aux lèvres, semblant avoir retrouvé ses attitudes habituelles.

« Je me fiche bien de ton peuple mon mignon, en revanche l'homme que tu cherches est en effet traqué par notre clan et si tu as une quelconque information du lieu où il se trouve, je te l'échange contre le voyage. Mais ! Parce qu'il y a toujours un mais avec moi ; j'aime l'argent, pour sûr, et j'aime la reconnaissance. Donc je veux cet homme pour la gloire et la prime. Ça veut entre autre dire que je veux sa peau, sa tête, sa mort quoi ! Tu me suis ? Ça sous-entend évidemment que si t'arrive pas à avoir ton information je le saigne quand même parce que s'il s'échappe on est pas prêt de le retrouver avant des années ! »

Comme l'étranger s'y attendait, elle ne lui avait pas non plus laissé le temps de dire un seul mot. Elle avait débité son discours sans aucune discrétion puisqu'elle hurlait presque à tout va et l'avait fait plus vite que son ombre, s'il n'avait pas suivit le cours de ses paroles, il n'aurait rien compris. Mais cela Amaryllis s'en fichait bien, s'il n'avait pas écouté attentivement, tant pis pour lui ! Elle tourna alors des talons et s'éloigna avec son équipage qui la suivait à la trace sans daigner regarder si l'homme faisait de même, de toute façon il avait plutôt intérêt. Elle le conduit jusqu'à son navire qui avait accosté non loin du port principal. Il n'était pas gigantesque, doté seulement de quelques balistes, mais tout de même assez imposant pour que la capitaine en soit fière comme pas deux. Alors que le silence s'était installé, aussi fou cela soit-il, la pirate siffla à l'aide de ses doigts et cinq nouvelles têtes firent leur apparition sur le bateau, abaissant un planche de bois pour relier les deux côtés et qu'ils puissent ainsi monter.

« Bon les gars, on va s'faire Langue de Cobra ! Vous en faites pas, il est réputé mais on va l'démonter ! Sortez l'rhum les amis, et plus vite bande de feignasses! »

Amaryllis attrapa soudainement la main de l'étranger pendant que ses hommes s'affairaient à préparer le bateau... et le rhum puis entraîna celui-ci jusqu'au gouvernail à qui elle offrit une douce caresse avant de s'adosser dessus. Elle entama un énième discours en faisant face à son interlocuteur mais en parlant cette fois-ci à voix basse. Il était étrange comme elle changeait d'attitude comme de chemise.

« Il est dangereux, l'homme que tu cherches, il ne faut pas le prendre à la légère. Il faut qu'on soit stratégiques, et vu ta tentative de suicide précédente je suppose que tu l'es pas. Et me regarde pas comme ça, je sais être discrète quand il le faut mon cher ! Ne pas se fier aux apparences, c'est connu ! »

Alors qu'elle lui parlait des choses à faire pour avoir le plus facilement l'espion, elle lui tendit d'un coup sa main de façon arrogante, ne trahissant pas sa réputation.

« Amaryllis Belladone, capitaine de ce navire, Légende, c'est son nom. Si t'as des questions me les pose pas, dis-moi plutôt la direction à prendre, on ira ensuite parler stratégie et tout le blabla emmerdant mais indispensable autour d'un rhum !»

De ses yeux océaniques et brillants sous la pleine lune, elle dévisageait son interlocuteur, accompagnée de son éternel sourire taquin, dégageant une aura imposante et sans limite d'énergie.

Apparemment son petit discours avait fait son effet puisqu’il se retrouvait à suivre la pirate qui lui proposait son navire pour retrouver l’informateur qu’il cherchait. Vu la tête des hommes de la belle capitaine, elle ne devait que rarement faire ça, ce qui voulait bien sûr dire qu’elle y trouvait largement son intérêt. Elle n’avait pas besoin de lui dire qu’elle voulait la tête de l’espion recherché pour la récompense, il l’avait deviné au moment même où elle avait dit oui. Ylliendril garda cependant pour lui ses éventuels commentaires.

Il avait ce qu’il voulait, que fallait-il de plus ? Si l’homme du désert voulait voir cet homme, c’était pour savoir si il pouvait l’aider, rien de plus, si elle voulait le tuer ensuite, ce n’était pas ses affaires. Après tout s’il était recherché, il devait avoir fait quelque chose de mal… Encore que, Ylliendril avait des doutes mais il se répéta que ce n’était vraiment pas ses affaires. Il suivit en silence la pirate jusqu’à son bateau et monta à sa suite.

La jeune femme semblait être ravie de partir en mer pourchasser l’assassin, ce qui plut aussi à l’équipage qui se mit au travail. Il se laissa guider, un peu surpris qu’elle lui prenne la main mais préférant une fois encore s’abstenir de commentaires. Il n’essayait même plus de suivre les changements de tons et d’humeurs de la lunatique jeune femme, se contentant de les subir et d’agir en conséquence.

Elle ne lui apprenait rien, un espion et assassin renommé, bien sûr qu’il ne devait pas être un enfant de cœur. Ylliendril ne prit pas la peine d’expliquer à la jeune femme qu’il avait été obligé d’être dehors et que donc, il n’était pas suicidaire mais il n’était pas sûr que de toute façon, cela aurait beaucoup influencé le comportement de cette dernière. La petite présentation dont elle le gratifia ensuite arracha un très léger sourire à l’homme des sables qui prit la main dans la sienne, la serrant doucement.

« Ylliendril Shandra. Prenez pour l’instant plein sud, nous regarderons en détail devant une carte. »

Alors qu’il la dépassait largement du haut de son mètre quatre-vingt-huit, l’étranger semblait moins imposant que la pirate qu’il aurait surement pu la soulever d’un bras. Si lui semblait calme et presque mou, son hôte débordait d’énergie et de motivation. Il la laissa d’ailleurs donner les ordres du départ et le bateau quitta bien vite le port. Alors qu’elle était occupée, il alla s’appuyer contre le bastingage, regardant l’eau qui défilait sous la coque. Le temps était agréable, un léger vent gonflait les voiles, l’homme du désert pria pour que ça dure…

Amaryllis avait ordonné qu'on mette les voiles qu'ils quittent les lieux dans les plus brefs délais. La chose fût bien vite exécutée et la plupart de l'équipage eut la permission d'aller se reposer. Il ne fallait oublié que la nuit était déjà bien avancée et ils presque tous levés depuis l'aurore. Suite un récent accident qui causa des dommages au bateau car toutes les personnes présentent fermaient l’œil, la capitaine se refusa à faire un somme. Elle remonta jusqu'à son gouvernail, jeta un regard à la boussole incrustée au milieu de celui-ci et le fit tournoyer avec force plein cap vers le sud. D'une main, Amaryllis buvait de temps en temps des gorgées de son rhum pour la tenir éveillée et semblait caresser de l'autre le bois de son gouvernail.

Elle n'était pas habituée à recevoir des passagers et en avait presque oublié l'étranger. Elle s'était donc mis à l'aise, son grand chapeau rangé dans sa cabine, ses cheveux pâles virevoltaient à présent au gré du vent. La jeune pirate semblait songeuse, elle observait l'étendue d'un bleu foncé avec envoûtement. Lorsqu'elle était seule à la barre, elle perdait toute attitude extravagante et semblait nostalgique. Tout en gardant son allure considérable, son regard était perdu dans l'horizon. Un bruit sur le pont la sorti finalement de ses rêveries et elle jeta brièvement un œil à l’homme qu'elle avait complètement oublié.

« Vous feriez mieux de dormir, le voyage risque d'être long. Et puis il vous faudra des forces pour les événements à venir, croyez-moi. »

Sa voix était calme, douce, sans aucune ironie ni hurlement. C'était comme si elle se transformait la nuit, son attitude était opposée à celle qu'elle avait un peu plus tôt. Cependant Ylliendril ne semblait décidé à l'écouter et Amaryllis un bref soupir.

« Comme tu veux, si tu tombes dans les pommes, je t'aurais prévenu. Monte au moins à mes côtés puisque tu n'en fais qu'à ta tête, je ne voudrais pas que tu tombes à l'eau et meurs sans avoir pu me dire où se trouvait ce salaud. »

Bien trop fière pour avouer que de la compagnie ne la dérangerait pas, elle faisait passer sa demande pour une question de sécurité. Elle désigna alors du menton un nombre incalculable de bouteilles d'alcool qui tanguaient au rythme des vagues juste derrière elle.

« Bois donc si tu ne veux pas t'endormir et t'écrouler sur le pont. Sauf si tu tiens pas l'alcool, ce serait alors une mauvaise idée... »

Affirma la capitaine en semblant se remémorer avec une grimace des souvenirs pas vraiment ragoûtants. D'un geste brusque, elle frappa le sol d'un coup de pied dans un bruit sourd. Et parla alors à toute allure.

« Reste pas planté là comme un fantôme, dis-moi quelque chose ! T'es peut être pas doué à l'oral mais les silences quand on est plusieurs ça a le don de m'énerver ! Alors raconte-moi c'qui te passe par la tête, n'importe quoi mais ouvre la bouche que diable ! »

Amaryllis pouvait être absolument calme et silencieuse, mais les silences de mort alors qu'elle n'était pas seule paraissait visiblement l'agacer. De plus il n'avait dit qu'une minuscule phrase depuis son arrivée sur le bateau. Un simple nom et plus rien, et la pirate avait horreur des muets qui n'avaient aucune raison de se taire.

Cela faisait presque maintenant une heure qu’Ylliendril restait ainsi, muet et immobile à regarder la mer, quand Amaryllis le tira de ses pensées. Il tourna la tête vers elle, ses cheveux détachés la rendaient plus féminine et son air semblait plus doux, plus simple qu’il y a quelques heures. Il lui fit un petit sourire en acquiesçant, signifiant qu’il tiendrait la nuit et qu’elle ne s’inquiète pas de lui. Il fut vraiment surpris quand elle l’invita à le rejoindre, la raison était vraiment bancale mais il était peu probable qu’elle ait besoin de sa présence, peut-être qu’elle préférait juste l’avoir plus près d’elle pour mieux le surveiller. Ne voyant pas d’inconvénient à obéir, il monta la rejoindre.

Hochant la tête quand elle lui proposa à boire, il eut à peine le temps de se pencher et saisir l’une des bouteilles que son hôte lâcha une longue tirade, partant au quart de tour, surement encore l’une de ses sautes d’humeur. Afin de ne pas la contrarier, il répondit sans la faire attendre, murmurant presque comme à son habitude, semblant forcer pour s’exprimer.

« Je vis seul depuis plus de dix ans, je ne parle jamais donc j’ai pris l’habitude de profiter du silence et je ne suis pas un grand bavard, désolé. Si vous arrivez cependant à supporter ma voix à peine audible, je serais ravi de discuter avec vous. »

Il la gratifia d’un sourire, puis enchaina :

« Quand à dire ce qui me passe par la tête, je remarquais juste que sans votre chapeau et votre air dur, vous étiez une femme vraiment plus ravissante. Si je puis me permettre, jouez-vous un rôle pour vous faire respecter dans ce monde d’homme ou es-ce vraiment vous ? J’admets que vos changements d’humeurs et de tons soudain me désorientent un peu. Vous allez surement me dire que ce n’est pas mes affaires mais il faut bien que nous parlions de quelque chose. »

L’homme du désert lui fit don d’un nouveau sourire plein de gentillesse, puis il ouvrir la bouteille avant de boire une longue gorgée de rhum. Alors qu’elle allait répondre, il profitait de la douce chaleur qui commençait à envahir son ventre, un air serein et étrangement calme illuminant son visage.

Amaryllis passa machinalement une main dans ses soyeuses mèches alors qu'il lui rappelait qu'elle avait ôté son couvre-chef. Elle arqua sourcil à l'entente de ses dires, il semblait autant la flatter que la remettre en question. Cet homme était son parfait contraire, souriant avec bonté, calme, peu bavard mais il avait le mérite d'être aussi franc qu'elle. D'ailleurs elle se demandait si le rhum avait déjà fait effet sur lui ou bien s'il était tout simplement aussi inconscient que lors de son embuscade. Une telle remarque pour la petite personne de la capitaine aurait pu lui valoir d'avoir la langue tranchée si celle-ci n'avait pas été de bonne humeur.

Amaryllis était simplement en accord avec le temps, et ce calme ambiant paisible avait un effet relaxant sur sa personne, pour les sautes d'humeur... elle lui fit comprendre d'un regard perçant qu'elle n’appréciait pas cette remarque. Quant à son statue de femme dure, elle tourna vivement la tête et sembla se renfermer avant de dire d'une voix glaciale.

« Une femme forte ne peut pas être une femme selon toi ? Je n'ai pas le temps ni l'envie de m'amuser à faire des gosses et engendrer une famille dans un foyer heureux cependant je pense pas en être moins femme pour cela. »

Elle lui jeta un regard vif aux allures de femme dure dont il faisait allusion plus tôt.

« Nous ne vivons pas dans le même monde messire Shandra. »

Ce fût la seule phrase, qui voulait tout dire sans rien énoncer, qu'elle daigna lui dire d'un ton désagréable. Effectivement, cela ne le regardait pas et elle n'avait aucunement le devoir de se justifier quant à ses gestes imposants et sa façon de diriger son entourage. Elle était née pirate, pas dame de compagnie et s'il n'était pas capable de comprendre que les priorités étaient différentes, c'était son problème. Amaryllis n'avait absolument pas l'habitude de parler d'elle-même, sauf pour vanter les mérites de son clan et de son équipage. Raconter son histoire, parler de ses émotions et sentiments, cela était hors de question et elle devenait muette à la moindre remarque sur ce sujet.

L'étranger semblait avoir fait perdu tout sourire à la jeune femme qui s'était braquée et buvait son rhum sans un regard pour celui-ci. Elle tournait de temps à autre son gouvernail avec nonchalance mais l'oppression du silence la vaincu et elle ne pu s'empêcher d'ouvrir à nouveau la bouche, bien qu'elle ne daigna point adresser un regard de plus à son interlocuteur.

« Il faut bien que nous parlions de quelque chose effectivement. Pourquoi pas de toi ? Après tout l'étranger ici, c'est toi, pas moi. »

La pirate passa une nouvelle fois sa main dans sa chevelure aux reflets argentés, signe de gêne chez la jeune demoiselle qui tentait de rompre le silence sans perdre sa fierté. Elle dit finalement d'une voix plus douce, moins agressive et teintée d'une pointe de curiosité inavouée :

« Vivre seul, est-ce un choix ou la conséquence d'un événement ? Tu dois t'ennuyer si tu es constamment isolé du monde. »

Amaryllis poussa un bref soupir comme si elle s'imaginait devoir vivre ainsi. Ne pas être entourée la rendrait dépressive, elle ne le supporterait pas et se demandait ce qui pouvait pousser cet homme à vivre ainsi.

Visiblement, il avait touché une corde sensible et avait vexé la jeune capitaine. Elle était encore plus susceptible qu’il ne l’avait d’abords cru et en plus, elle avait compris de travers ce qu’il avait voulu dire. Soupirant discrètement alors qu’elle s’était murée dans un silence de mort, il répondit, de sa voix basse habituelle :

« Vous m’avez mal compris, j’ai connu des femmes capable de mettre des hommes à terre sur des champs de bataille et ce n’est pas pour autant qu’elle n’était pas des femmes. Je ne voulais pas vous contrarier ou vous reprocher vos manières. J’étais juste curieux de savoir si vous étiez naturellement une femme de caractère ou si vous jouiez ce rôle pour vous faire une place dans le monde d’homme qu’est celui des pirates, il n’y avait nul critiques dans mes mots, soyez en sûre. Et à mon goût, il faut mieux être comme vous qu’une femme de joie dans l’une des ruelles de vos villes. Mais j'ose espérer qu'il y a d'autres catégories de femmes chez vous, je n'ai malheureusement que pu rencontrer celles-ci, hormis vous. »

Il lui refit un léger sourire, voulant bien montrer sa volonté de s’excuser indirectement de l’avoir contrariée. Avalant ensuite une nouvelle gorgée de rhum, il l’écouta à nouveau, puis pris un peu de temps pour réfléchir, regardant à l’horizon avant de finalement répondre.

« Je vis seul à la fois par choix et à la fois parce que j’ai perdu tout ce que j’avais… Nous ne vivons certes pas dans le même monde mais n’allez pas penser que le miens est plus agréable à vivre. Le peuple dont je suis issus a toujours eu de mœurs plutôt pacifiques certes mais depuis une dizaine d’année, nous sommes sous le joug d’une armée organisée de pillards qui viennent régulièrement nous voler et parfois détruire ou brûler nous villages pour nous empêcher de nous regrouper et de faire front. »

Gardant sa voix parfaitement calme alors qu’il contait le passé, un léger changement s’opéra dans sa ton, celui-ci devenant plus dur, plus ferme.

« Mais bientôt, nous les chasserons. Je suis actuellement en train de préparer une révolte de grande échelle, c’est en partie pour ça que j’ai besoin de « Langue de Cobra ». Je vais faire payer ces meurtriers et les survivants craindront toute leur vie les images que je graverais dans leurs esprits. »

Sec et froid à la fin, on pouvait déceler dans son regard une étincelle à glacer le sang. Quelque que soit le sort qu’il réservait à ses ennemis, personne n’irait les envier. Reprenant soudain son air doux et son habituel léger sourire, il continua :

« Mais oui, je m’ennuyais, jusqu’à rencontrer une femme de Yuen visitant nos terres qui m’a redonné l’envie de prendre ma vie en main. »

S’arrêtant à nouveau, il regarda Amaryllis avant de la gratifier d’un petit clin d’œil. Il en avait dit énormément sur lui, bien qu’il ait omis le plus volontairement du monde quelques détails qui lui avait valu son isolement ainsi que pourquoi il était actuellement ici à chercher un homme dont la tête était mise à prix. Se murant ensuite dans le silence, il fit la forme d’un rectangle avec ses deux index, indiquant qu’il lui faudrait une carte pour pouvoir vérifier son chemin et donner une direction plus précise à la jeune femme.

Amaryllis pencha la tête sur le côté, un sourcil arqué, elle toisait son interlocuteur du regard.

« L'amour a un effet bien étrange sur les hommes. Tu passes d'un état laxiste à l'organisation d'une révolte sanglante si je comprends bien. De plus tu dis que ton peuple est pacifiste et tu veux retrouver la paix en faisant la guerre ? Combattre le mal par le mal c'est ça ? »

La pirate dégageait une mèche de cheveux de son air nonchalant avant de conclure d'une voix désintéressée.

« Enfin de toute façon vos affaires du désert ne me concerne en rien, tu peux bien faire ce que tu veux tant que je tranche la gorge à cette ordure. »

Elle fit volte face et s'éloigna de la barre pour prendre les escaliers qui menaient au pont. Elle ne daigna pas dire à Ylliendril qu'elle partait chercher la carte puisque celui-ci n'avait pas non plus pris la peine d'énoncer à haute voix l'objet qu'il désirait. Alors qu'Amaryllis descendait une à une les marches d'un pas leste et assuré, un grand fracas se fit entendre derrière la porte qui contenait la pièce où dormait l'équipage.

Elle se précipita alors dans cette direction et ouvrit brutalement l'accès, découvrant la ribambelle de matelots agglutinés devant l'entrée. Ceux-ci observaient les deux humains à la barre par le minuscule trou de la serrure et s'étaient brusquement éloignés en voyant leur capitaine approcher. Ils souriaient niaisement, pris sur le fait et reculaient au fur et à mesure qu'elle avançait.

« Dehors, tous. »

Dit-elle d'une voix glaciale tandis que l'équipage s'exécutaient en silence. Amaryllis ferma à clé derrière eux et s’éclipsa dans sa cabine attitrée, laissant ses matelots en caleçons sur le pont, abrutis face à l'étranger. La capitaine avait pris son temps et ne revint qu'après quinze bonnes minutes. Avant qu'ils n'aient pu l'apercevoir, ils se prient une pluie de balais sur la tête. La pirate se montra peu après, toisa de son regard méprisant l'équipage et replaça avec dédain son fameux couvre-chef sur la tête.

Elle tenait la carte demandée par l'étranger d'une main et dégaina son sabre de l'autre. Sans un mot elle lança sa lame qui se planta sur un des seaux d'eau vides. Un claquement retentit et brisa le silence du navire, Amaryllis avait frappé dans ses mains et cela signifiait qu'ils avaient plutôt intérêt à se mettre au travail. Elle remonta alors près de l'étranger, lui octroya la carte sans un mot ni regard et se replaça à son gouvernail après avoir bu d'une traite le verre de rhum qu'il lui restait.

« Maintenant que tu l'as guide-moi. On va aussi devoir parler des mesures à prendre pour qu'on parvienne tout les deux à notre but sans qu'il n'y ait de complication. »

Déjà le soleil se levait, ses rayons donnaient une teinte sanglante aux yeux féroces de la capitaine. Aussi froide que la mort, Amaryllis regardait droit devant elle tandis que les pirates à moitié nus nettoyaient avec ardeur tous les recoins du navire pour se réchauffer autant que pour éviter une punition bien pire. A présent il était bien claire qu'elle avait horreur d'être épiée en secret.

« L’amour ? Navré mais il n’en ait rien… Cette femme m’a juste redonnée courage mais en effet, pour virer ces hommes, je n’ai pas le choix. S’il suffisait que nous leur demandions de partir pour qu’il le fasse, nous serions en paix depuis longtemps. »

Finalement, elle coupa court à la discussion. Décidément, discuter avec cette femme n’était pas toujours facile et pourtant, elle semblait aimer converser et avoir de la compagnie, c’était plutôt contradictoire mais après tout, il n’était surement pas en mesure de comprendre une étrangère qu’il ne connaissait que depuis quelques heures.

Amaryllis fila ensuite, se doutant de ce qu’elle allait faire, il ne posa pas de questions et son contenta de s’appuyer sur les bastingages du bateau. Regardant une fois encore la mer en silence. Il ne voyait pas souvent cette immense étendue bleue et il ne se lassait pas de dériver dessus.

La scène qui suivit eu le mérite de faire largement sourire l’étranger. Il se retrouva devant plusieurs dizaines d’hommes en tenue de nuit en train de trembler de peur en attendant les ordres de leur capitaine. La curiosité est un vilain défaut et visiblement, son hôte semblait appliquer avec entrain cet adage. Il garda le silence en attendant qu’elle revienne, amusé de voir les marins se jeter des regards inquiets et interrogateurs.

Quand elle se décida à sortir, la capitaine mit de quelques gestes l’équipage en action avant de lui tendre la carte. Si Ylliendril avait été susceptible, il aurait pu prendre de travers les réactions de la jeune femme mais plus amusé qu’autre chose, il préférait se moquer gentiment d’elle en son for intérieur. Il l’écouta parler, toujours impassible, avant de hocher la tête. Ouvrant ensuite la carte, il se concentra sur son travail pour se repérer puis chercha leur destination. Il n’oubliait pas qu’il était avec des pirates, aussi pointa-t-il du doigt une île proche de leur objectif, la gratifiant d’un léger sourire.

« Rejoignons cette île pour commencer. Quant aux mesures à prendre… Laissez-moi le rencontrer, savoir ce que je veux, ensuite je vous indiquerais où il vit et vous en ferez ce que vous voudrez. »

Amaryllis était prostrée dans le silence depuis l'accident de voyeurisme. Évidemment tout le monde la pensait vexée et donc renfermée mais il n'en était rien. Elle ne l'avait pas dit à l'étranger car cela ne le regardait pas ni même à son équipage qu'elle tenait éloigné de son passé mais si elle avait accepté tout de suite et qu'elle mettait tant d'effort dans la recherche de l'espion c'était surtout par vengeance personnelle et non par gloire pour son clan. Effectivement Langue de Cobra avait participé à la destruction des Belladone et avait toujours eu de mauvais rapports avec la famille de la capitaine. Des crasses il en avait fait à tous les pirates mais il s'était particulièrement acharné sur eux sans qu'Amaryllis n'en sache jamais la raison. Mais à présent elle était robuste, forte et plus âgée, elle avait eu la chance incroyable de rencontrer quelqu'un connaissant le lieu de vie de cette ordure et plus elle approchait du but, plus sa haine grandissait en elle.

Ils ne tardèrent pas à accoster sur l'île, loin du port pour ne pas être repérés. D'un geste silencieux Amaryllis avait autorisé les matelots à se rhabiller puis leur ordonna d'abaisser le passerelle pour qu'ils puissent enfin mettre pied à terre. Elle avait dit à l'étranger de descendre le premier car elle avait à parler avec son équipage. Ils se mirent en rond autour d'elle et écoutèrent attentivement ce qu'elle avait à dire puis dans un brouhaha tout le monde se bouscula à sa tache. Ils revinrent alors tous, habillés, armés et parés à attaquer. Ils étaient loin de l'image des joyeux lurons qui s'amusaient à boire du rhum et à rire de tout dans une ambiance cordiale. Sur le navire tout le monde était détendu mais dès lors que la bataille approchait ils ressemblaient enfin à de vrais de guerriers ayant soif d'or et de sang.

Les pirates descendirent en rang au nombre de dix, trois autres garderaient le navire. L'étranger avait dit devoir aller seul parler à l'homme dont la tête était mise à prix et cela ne plaisait guère à la capitaine. Et sans crier gare, elle plaqua Ylliendril contre un arbre alors que ses hommes l’encerclaient. Une main autour du cou de l'homme prête à l'étrangler au moindre mouvement, son regard était à glacer le sang. Amaryllis le perçait de ses yeux terrifiants, et dit d'une voix qui révélait sa nature sombre et sans pitié.

« Si tu me trahis, toi et ton peuple paierez les conséquences au centuple. Je te donne ma confiance car je n'ai pas d'autre choix mais si tu lui fais défaut, je t'assure que le sort qui te sera réservé t'en fera faire des cauchemars même dans la mort. »

La pirate n'avait pas du tout l'air de plaisanter. Elle resta dans cette position un long moment, laissant planer un silence de mort puis le relâcha finalement. Elle dit à l'homme du désert qu'ils l'attendraient ici et veilleraient à ce que personne ne traîne dans les parages en attendant. Amryllis le mit aussi en garde, s'il mettait trop de temps, elle n'hésiterait pas à intervenir sans son accord et mettrait cela sur le compte de la trahison. Un ultime regard sinistre dédié à l'étranger puis elle tourna des talons et le laissa à son sort pour remonter dans son bateau d'une démarche obscure.

Ylliendril assista en silence à l’accostage et aux préparatifs. La capitaine ne savait toujours pas comment l’étranger savait où trouver « Langue de Cobra » et ne s’était visiblement pas donné la peine de se poser la question. Elle aurait été plutôt surprise par la réponse puisque c’est l’assassin lui-même qui avait dit à l’homme du désert où le trouver et qui l’avait invité à venir le rejoindre sur cette île. Il préféra continuer à taire cette information, surtout que la capitaine n’avait jusqu’ici pas été très agréable avec lui.

Visiblement elle avait accepté le fait qu’il fallait qu’il passe devant. Quelque chose clochait, il le savait, pourquoi « Langue de Cobra » l’avait il fait venir ici, sachant qu’il ne pourrait y aller seul ? Secouant la tête, il suivit les autres jusqu’à ce que la pirate, sans avertissement, la plaque contre un arbre, l’air menaçant. Totalement impassible, il l’écouta sans broncher mais ricana intérieurement. Cette femme était surement plus inconsciente que lui et si ses hommes n’avaient pas été autour d’elle, le géant l’aurait envoyé quelques mètres plus loin à l’aide d’un bon coup de pied.

Il la regarda remonter dans le bateau, un léger sourire aux lèvres. Amaryllis était inconsciente, c’était un fait, il regretta presque un instant qu’il ne soit pas l’appât d’un plan destiné à la piéger, qu’elle se sente écrasée et vaincu. Haussant finalement les épaules, il s’enfonça dans la jungle qui recouvrait l’île. La pirate avait dit qu’elle interviendrait s’il ne revenait pas vite mais jamais elle n’aurait pu trouver le chemin exact, d’autant que l’assassin l’aurait entendu arriver de loin.

Sortant un petit parchemin qu’il avait reçu plusieurs semaines plus tôt, il peina à se repérer mais trouva sa route. Il put confirmer une chose, la pirate ne trouverait jamais sans guide. Il du même finalement descendre dans le lit d’un ruisseau une dizaine de mètre plus bas pour finalement entrer dans une petite grotte. Il n’y avait qu’un feu ici et un homme, assis par terre, qui leva la tête à son arrivée. Malgré le faible éclairage, il distingua parfaitement les yeux et le visage de l’étranger et sans raison visible, l’homme du désert devint aussi pâle qu’un mort, ne réussissant qu’à lâcher un pénible :

« Mais… Tu étais mort… »

Souriant avec douceur, l’homme dont le corps et le visage fins juraient avec le combattant qui venait d'arriver se leva, ses yeux rouges brillants à la lueur des flammes. Écartant les bras, il murmura :

« Grand frère… Tu ne m’embrasse pas ? »

Portrait:

Abasourdît, l’arrivant n’en croyait pas ses oreilles, comment pouvait-il être ici après tout ce temps… Et pourtant, son cadet était bel et bien devant lui. Bien qu’ayant pris une dizaine d’année, il gardait pour Ylliendril certains airs de l’enfant qu’il avait connu et que personne n’aurait pu imiter. Marchant lentement, il s’approcha du petit être et l’enlaça avec force, les yeux brillant d’humidité. A côté de son ainé, l’homme d’un mètre soixante et onze paraissait vraiment chétif. On pouvait même se demander si ils étaient vraiment frères tellement ils n’avaient rien en commun. L'un possédait un doux regard émeraude alors que le regard rubis du criminel faisait frémir d’angoisse. Vêtu comme ses activités le demandaient, il portait en majorité du noir qui faisait ressortir le blanc de sa chevelure et son couvre-chef.

Le lâchant finalement, le géant reprit ses esprits et demanda :

« Par quel miracle ? »

Souriant avec douceur, à la manière d’Ylliendril, « Langue de Cobra » raconta brièvement son histoire.

« Après la mort de notre père a la bataille près de Jel’Saa, je me suis fait passé pour mort, tout de comme toi. J’avais eu la jambe brisée par un cheval, j’ai réussi à me trainer jusqu’à un village mais il fallait que je parte vite de la région, on me cherchait. Un étranger m’a trouvé et me voilà. Pour mon funeste titre, c’est une longue histoire. Pour éviter de me répéter, je te dirais ça une fois que nous serrons avec la fille des Belladone. »

« Tu sais qu’elle est ici ? »

« Voyons frérot… Je me doutais bien que tu ne viendrais pas à la nage. »

« Elle va te tuer, ils sont une quinzaine… »

« Qui t’a dit que j’étais « Langue de Cobra » ? »

Complètement perdu, Ylliendril hocha la tête. Il avait une confiance complète en son jeune frère et le suivrait quoi qu’il arrive. Ils sortirent tous les deux de la grotte et firent le chemin en sens inverse. Sans jamais regarder en arrière, l’assassin sortit du couvert des bois, à quelques mètres d’Amaryllis et ses hommes. Il croisa deux doigts en levant une main, un bruit de corde claquant résonna et un carreau d’arbalète perça le sol aux pieds de la capitaine. Ylliendril se retourna, cherchant d’où venait le tir mais rien ne bougeait dans la jungle, son frère semblant savoir ce qu’il faisait, il se calma et se mura dans le silence. Ce fut l’assassin qui prit la parole :

« Enchanté Amaryllis, fille des Belladone. Je me présente, Seth, on me connait plus généralement sous le nom de « Langue de Cobra ». Vous et vos hommes êtes tenus en joue par les miens et nous sommes sur une île que nous maitrisons parfaitement, ne faites rien d’idiot, vous pourriez le regretter. Je vais vous raconter une petite histoire dont la chute vous intéressa… »

Parfaitement calme, se sentant en absolu sécurité sur un terrain où lui et ses hommes s’entrainaient tous les jours depuis presque dix ans, Seth invita les gens à se détendre, sentant bien la tension des pirates qui voulaient sa peau mais ne pouvaient pas se permettre de l’attaquer.

« Il existait un grand assassin, réputé de nom, ne servant que les plus grands capitaines de la Voile d’Onyx, on le surnommait « Langue de Cobra ». Il a commencé ses activités il y a presque vingt ans maintenant mais vieillissant, il eut une idée lorsqu’il récupéra un jeune homme blessé il y a une dizaine d’années. Lorsqu’il se rendit compte qu’il était malade et risquait de quitter bientôt le monde, il multiplia le nombre de ses apprentis. Il nous a maintenant quitté il y a deux ans, mort paisiblement dans son lit. Pour ma part, je suis le jeune homme de l’histoire, son premier disciple, ce sont les autres qui sont autour de vous. »

Il laissa un petit temps à la femme, puis continua :

« Nous n’avons repris le flambeau qu’après son décès, rendant alors « Langue de Cobra » plus insaisissable que jamais puisqu’il était partout et nulle part à la fois. Je suis le celui qui a réellement hérité du titre. A votre air, je devine que vous vous en moquez mais je me devais d’introduire la suite, qui vous concerne. Mon maitre avait agi contre les vôtres peu avant de tomber malade, je sais que vous le haïssez mais n’oubliez jamais qu’il n’était qu’une personne qui exécutait des ordres pour de l’argent. Si vous cherchez la vengeance, trouvez ceux qui lui ont demandés de s’attaquer à votre famille, vous aurez les vrais coupables. Si ce n’avait pas été lui, un autre l’aurait fait... »

Reprenant une inspiration, il termina finalement :

« J’ai une proposition à vous faire. Nous aimerions tous nous faire oublier, « Langue de Cobra », ce n’est pas nous et ce ne le sera jamais, nous ne sommes que de pâles copies… Aussi, nous nous proposons de vous fournir suffisamment de preuves pour que vous puissiez vous vanter d’avoir tué le légendaire assassin et de notre côté, nous disparaitrons complètement de ces terres et personne n’entendra plus parler de nous. Vous aurez alors tous les honneurs et nous, la liberté. Quand j’ai appris que c’était vous qui ameniez Ylliendril, j’ai décidé de faire une exception… »

Fouillant dans une sacoche, il en sortit un petit parchemin qu’il agita en l’air.

« Si vous acceptez, je vous donnerais ceci… L’ordre de mission écrit par le commanditaire qui a demandé les actions contre votre famille… Vous risquez d’être surprise par la signature… Dans le cas où vous refuseriez, nous disparaitrons tout simplement, ne pensez pas pouvoir nous rattraper ici, vous ne quitteriez pas la jungle en vie. »

Puis il jeta un regard à son ainé, l’encourageant à prendre la parole. Avançant d’un pas, Ylliendril reprit le flambeau :

« Si ma parole a une quelconque valeur pour vous… J’apprend tout en même temps que vous et surtout… Je vous présente mon petit frère… »

Puis il redevint muet, étant lui aussi en train d’enregistrer tout. Il venait d’apprendre où était passé Seth pendant toutes ses années. Si il s’entendait bien avec sa famille, l’homme du désert et l’assassin étaient inséparable plus jeunes alors qu’ils avaient pourtant presque dix ans de différence. Un silence de mort prit place, c’était maintenant la pirate qui avait les cartes en main…

Amaryllis crut vivre une éternité alors qu'elle attendait en trépignant l'étranger. Elle avait absolument horreur d'attendre, encore plus quelqu'un dont elle ne faisait confiance qu'à moitié et sur qui elle était obligée de se reposer malgré elle. Enfin elle aperçue deux hommes mais elle n'eut pas le temps d'émettre le moindre son que des flèches se plantèrent à ses pieds. Évidemment la capitaine prenait cela pour une déclaration de guerre et elle posa ses yeux sanglants sur l'étranger à qui elle avait fait confiance, lui affirmant qu'elle tiendrait sa promesse de menace en un regard. L'homme qu'elle ne connaissait pas pris la parole, d'une façon fortement désagréable aux yeux de la pirate. Il parlait d'une voix presque amicale alors qu'il venait de les menacer. Son regard était emplit de haine et elle avait du mal à garder le contrôle d'elle-même. Son histoire ne l'intéressait pas, elle avait seulement envie de le faire taire à coups de lame jusqu'à ce qu'il se mette à parler de sa famille. Comment osait-il ! Comment osait-il parler de son passé devant tout le monde, comment osait-il porter un jugement alors qu'il n'y connaissait rien ! Amaryllis dégaina son sabre, s'en était trop ! Tandis qu'elle allait se jeter sur lui pour lui arracher la langue, ses matelots la retinrent fermement, ils savaient qu'elle courait à la mort si elle exécutait le moindre geste. La pirate aux émotions troublées se débattait dans tous les sens alors que l'assassin énonçait sa proposition.

« Ferme-la langue de vipère ! Tu crois peut-être m'acheter parce que tu as des hommes cachés sur ton île ? Crève ordure ! »

Hurla la jeune femme qui n'arrivait pas à rester calme et écouter sagement ce qu'il disait. Sa respiration était haletante, elle tremblait de haine de s'être faite avoir de cette manière. De s'être faite trahir par un stupide homme à qui elle croyait pouvoir faire confiance. Et surtout à cause de cet homme aux allures nonchalantes qui parlait comme si tout allait bien. Si ses hommes ne l'avaient pas retenu elle se serait jeté sur eux et quitte à mourir elle en aurait tué un bon nombre, dont cet assassin. L'homme qui les avait trompé pris la parole à son tour. Amaryllis plongea son regard à glacer le sang dans le sien.

« Elle en avait de la valeur, ta parole. Maintenant tu peux aller crever dans ton désert Ylliendril ! Ton petit frère, hein ? Vous faites une belle paire, je vous félicite, puissiez-vous être enterrés à côte à côte, je jure d’exaucer ce vœu, plus vite que vous ne le pensez ! »

La furie reprenait sa respiration, essoufflée tellement elle criait en parlant à toute allure et se débattait avec hystérie. La proposition du maître de l'île tombait visiblement à l'eau, jusqu'à ce qu'un des matelots demande la permission de parler à sa capitaine en privé. L'homme accepta s'ils étaient visibles. La matelot expliqua donc calmement à sa supérieure que l'assassin n'avait pas tort et que si elle était tant en colère, autant qu'elle se venge sur les bonnes personnes. Le faux Langue de Cobra n'y était pour rien et il était stupide de perdre la vie pour une vengeance qui visait la mauvaise personne. Amaryllis inspira profondément et hocha la tête. D'un pas déterminé elle s'approcha du petit frère et lui arracha le parchemin des mains avant de poser son regard dessus. Ses yeux s'écarquillèrent, visiblement elle était surprise, comme il l'avait prédit.

« Vous mentez ! C'est faux, c'est tout bonnement impossible ! Pourquoi devrais-je vous croire ? »

Il lui fit calmement signe de la tête que ce papier était authentique et elle compris en le regardant longuement qu'il disait la vérité. L'équipage de la capitaine ne comprenait pas plus qu'Ylliendril, seuls les deux ennemis partageaient ce semblant de complicité mal appropriée, s'il savait qu'elle serait surprise il était au courant. Les yeux d'Amaryllis brillaient car des larmes étaient sur le point de couler. A ce moment précis, le fait qu'elle possédait bel et bien un cœur ne faisait plus aucun doute. Refusant de se donner en spectacle de cette manière elle s'empressa de mettre un terme aux négociations. Elle ouvrit la bouche, sa voix était encore plus faible que celle habituelle de l'homme du désert. Ses mots s'étranglaient dans sa bouche et elle avait visiblement du mal à terminer ses phrases sans accrocs.

« Réglez les détails avec mes hommes quant aux preuves de la mort de votre maître... »

Sa carapace étaient en train de fondre et d'un revers de la main elle s'essuya les yeux avant de s’éclipser à l'intérieur de son navire sans dire un mot de plus. Ces gens, qui avaient commandité l 'exécution étaient des traîtres connus dans la Voile d'Onyx. Ils avaient fait des crasses à tous les marins mais avaient un lien particulier avec les Belladone, ils avaient toujours partagé une amitié unique et elle avait noué avec ces personnes une confiance inébranlable. Ils étaient comme une deuxième famille pour la jeune femme. Et la sienne, de famille avait toujours tout fait pour les protéger alors que leurs têtes étaient mises à prix et qu'ils aient osé les trahir rendait la capitaine submergée de tristesse plus que de colère. La haine viendrait, bien sûr elle se vengerait de la façon la plus effroyable qu'il soit. Mais pour l'heure elle devait digérer cette nouvelle, elle s'était cloîtrée dans sa cabine en claquant violemment la porte, oubliant même de la fermer, chose extrêmement rare. Les larmes coulaient enfin, maintenant qu'elle était cachée de tous, les vagues d’amertume se déversaient de ses deux océans violacés. Elle s'allongea sur son lit, ses mains sur ses yeux, elle se laissa aller à la tristesse, plus rien n'avait d'importance pour le moment. Qu'elle soit une pirate sans foi ni loi capable des pires monstruosités importait peu, son cœur était meurtri et cette faiblesse était universelle, touchant même les plus forts.

Ylliendril regardait la capitaine le menacer de mort et perdre le contrôle. Bien qu'une bonne leçon n'aurait pas faite de mal à la pirate, la voir embrochée par un trait d'arbalète ne lui plaisait pas spécialement non plus et il espérait que son frère saurait garder son calme... Ce qu'il fit avec brio. Heureusement que l'un des hommes d'Amaryllis, plus sage qu'elle, réussi à la convaincre d'accepter le papier que tenait Seth et c'est à ce moment qu'elle changea complètement. L'homme du désert ignorait qui était le nom inscrit et même si il l'avait vu, il n'aurait pas su le mettre sur un visage. D'un geste de tête le jeune frère lui fit comprendre qu'ils en parlerait plus tard mais qu'il n'était pas nécessaire de donner une nouvelle raison à la pirate de les tuer. Visiblement sur le point de pleurer, elle put à peine parler avant de disparaitre dans son navire. N'aimant pas voir une femme dans un tel état, Ylliendril fit mine d'aller pour la suivre mais l'assassin l'arrêta, le replaçant derrière lui en regardant les pirates.

« Tu ne peux rien pour elle, il lui faut du temps pour accepter ce qu'elle vient d'apprendre. Le fait que tu la vois dans son état actuel ne lui donnera que plus envie de te couper la tête. »

Se soumettant une fois encore à son sage cadet, le géant attendit finalement que celui ci termine son petit échange. Seth s'adressa directement à celui qui avait calmé la capitaine et qu'il jugeait donc le plus apte aux négociations. Le jeune homme lui tendit diverses objets en expliquant:

« Voici le collier que mon maitre avait prit sur la victime du dernier de ses contrats, quelques documents que vous auriez pu trouver dans l'une de ses cachettes et l'insigne d'or qu'il avait volé dans un temple. Ces objets et le fait que nous ne répondrons plus aux demandes de contrats suffiront largement à faire croire à la vrai mort du légendaire assassin. »

Le pirate accepta en hochant la tête tout les présents, bien plus capable de se contrôler que sa capitaine. Avant qu'il parte poser le tout dans le navire, le plus jeune des deux frères ajouta:

« Je sais que vous ne me devez rien mais... Essayez de faire en sorte que votre chef n'en veuille pas trop à mon frère, je l'ai autant manipulé qu'elle dans cette histoire. Nous resterons encore ici une dizaine de minutes si elle désire nous parler, puis nous disparaitrons. »

Prenant une pose d'attente détendue, Seth se laissant tomber par terre en tailleur, débordant d'une confiance en lui qui faisait penser à la jeune femme dans le navire lorsqu'elle était dans son état normal. Il invita son ainé à en faire de même et lui expliqua à voix basse, de manière à ce que les quelques pirates encore à terre et qui ne savait pas trop quoi faire privés de leur capitaine ne puisse les entendre.

« La personne qui a commanditée toutes ses actions contre la famille Belladone est l'une des plus influente de la Voile d'Onyx. Ils étaient très proches de ces derniers et l'homme qui a signé est plus ou moins... L'oncle d'Amaryllis. »

Bouché bée après cette révélation, Ylliendril comprenait enfin pourquoi la pirate était devenue pâle comme mort. Connaissant son frère, il n'aurait jamais mentit gratuitement et sachant que tout était vrai, la jeune femme risquait d'entrer dans une rage folle une fois que sa tristesse serait passée. Rompant le silence, l'homme du désert demanda:

« Mais pourquoi tu veux attendre qu'elle revienne? D'autant que vu comme elle doit être, il lui faudra plus de dix minutes pour aller mieux... »

« Son marin va surement la prévenir à travers la porte que nous ne resterons que peu de temps. Si je ne me trompe pas sur le caractère d'acier de cette jeune femme, elle aura déjà récupérée son air d'assassin pour me remercier. »

« Pourquoi elle te dirait merci...? Elle te déteste. »

« Elle détestait mon maître, moi je ne lui ai jamais causé du tord, c'est même l'inverse. Et si elle a un minimum d'orgueil, elle viendra nous voir, je ne pense pas qu'elle veux que nous restions avec une image d'elle affaiblie en mémoire. De plus, elle aurait l'air idiote de ne pas nous remercier pour ce que nous venons de lui apprendre, tu a bien vu ses hommes, elle ne peut pas leurs laisser l'impression qu'ils sont plus sages qu'elle. »

Ponctuant sa remarque d'un petit clin d’œil, il gratifia son grand frère d'un sourire.

« Prétentieux va... »

Prétentieux, certainement, en tout cas il avait vu juste quant aux états d'âme de la jeune femme. Après avoir verser d’innombrables larmes, qui seraient les dernières de sa vie se jura t-elle, Amaryllis quitta enfin sa cabine, apaisée. La haine viendrait prochainement, c'était irréversible, mais pour le moment elle se sentait comme libérée d'un poids. Cette nouvelle la faisait énormément souffrir, mais elle était maintenant au courant de la véritable chute de ses parents, victimes d'une supercherie et elle n'en était que plus motivée à reprendre flambeau des Belladone. La capitaine descendit de son navire et retourna auprès des hommes. Elle était étrangement sereine, presque douce, elle incarnait parfaitement le calme avant la tempête. Sa carrure était certes plus assurée que lorsqu'elle s'était éclipsée mais toute sorte d’extravagance avait disparue et sa voix ne refléta que trop bien cet état d'esprit alors qu'elle posa son regard sur Seth.

« Je m'excuse de m'être ainsi emportée. Soyez certain que votre existence restera inconnue de mon clan. Je vous remercie de m'avoir ouverts les yeux et si un jour vous avez besoin de bras de plus pour un quelconque événement, n'hésitez pas à faire appel à moi. »

Les hommes de la pirates ouvraient de grands yeux et semblaient bouche bée. Amaryllis s'était excusée, l'avait remercié et de plus elle le vouvoyait, chose qu'ils n'avaient vu de leur vie en compagnie de celle-ci. A vrai dire elle avait un profond respect pour les hommes d'honneur. Il n'était aucunement obligé de lui apprendre la vérité, il aurait pu s'en servir pour la faire chanter, même simplement pour s'amuser d'elle et il n'avait fait qu'exécuter un arrangement honorable qui convenait à tout le monde. Elle était orgueilleuse et arrogante mais savait reconnaître la valeur des autres. C'est donc en toute franchise qu'elle fit une poignée de mains à Seth devant l'air ébahi de ses camarades. Elle se tourna alors vers l'étranger qui avait fait le voyage avec eux.

« Quant à toi... Je suppose que tu restes avec ton frère. Je te remercie aussi de m'avoir emmenée ici même si ce fût par un parfait hasard. Peut-être nous reverrons-nous lorsque tu auras débarrassé ton désert des pillards et que j'aurais vengé la mémoire des miens. »

Tandis qu'elle serrait à son tour la main d'Ylliendril , elle porta soudain ses lèvres à son oreille, lui chuchotant la réponse à la question qu'il avait posé voilà déjà un bon moment.

« Je suis d'un naturel sévère mais il est vrai que je dois souvent en rajouter pour m'imposer. »

Amaryllis lui offrit d'ailleurs un magnifique sourire des plus sincères puis lui tourna le dos sans qu'il n'ait le temps de trop en profiter. Elle s'était déjà trop dévoilée sur cette île et il était temps pour elle et ses marins de reprendre la mer. La capitaine remis son chapeau en place et récupéra ses airs dont elle venait de chuchoter l’existence à l'homme du désert, frappant des mains pour attirer l'attention de ses homme.

« Arrêtez donc de faire ces têtes si vous ne voulez pas que je vous les coupe ! Tout le monde à bord, on a du pain sur la planche alors ne traînez pas ! Après avoir récupéré notre récompense, on à un salaud à faire couler ! »

La capitaine pris les devants et s'éloigna sans un regard de plus pour les hommes qui restaient sur l'île. L'équipage qui était toujours sous le choc des récentes attitudes de leur chef suivirent le pas avec plus de mal. Chacun repris son poste, tout le monde était en place et le navire leva rapidement l'ancre avant de voguer à nouveau en direction de la capitale de leur clan pour récupérer leur dû.

Ylliendril n’en revenait pas, Seth était devenu bien plus malin et observateur que lui. Quelques minutes passèrent avant qu’Amaryllis apparaisse sur le pont, parfaitement calme et maitresse d’elle-même. Non seulement elle était revenu comme son cadet l’avait prédit mais en plus, elle l’avait bel et bien remercié, lui proposant même son aide. L’homme du désert n’oublierait en tout cas pas cette proposition. Si jamais il voulait virer les pillards, quelques bras de plus ne seraient pas de trop.

Il ne put s’empêcher de sourire en voyant la tête de forbans qui ne comprenait pas la réaction de leur chef. Heureusement qu’ils n’avaient pas en plus entendu le plus jeune des frères annoncer cela quelques instants plus tôt sinon ils l’auraient pris pour une sorte de dieu. Seth serra amicalement la main de la jeune femme, son visage toujours aussi inexpressif malgré la petite lueur qui brillait dans ses yeux, signifiant à la fois qu’il était fier et touché.

Prenant à son tour la main de la jeune femme, Ylliendril répondit, alors qu’elle venait de lui murmurer quelques mots à l’oreille :

« J’espère que nous nous reverrons dans d’autres circonstances. »

Puis il regarda la jeune femme apostropher ses hommes pour tous les faire monter à bord, un peu rêveur. Ce fut son petit frère qui le tira de ses pensées d’un petit coup de coude, avant de lui annoncer :

« On a notre propre embarcation, les autres ont décidés de rester avec moi, je sais que tu veux renverser les pillards, je suis à ton service, mes hommes aussi. »

« A mon service ? Voyons, t’es mon frère. Tu seras simplement à mes côtés. »

Le gratifiant d’un sourire, Ylliendril le suivit quand ils disparurent dans la jungle, prenant la route pour retrouver leur désert natal…